Les gallons-panoramas présentent une série de paysages picturaux qui ont été révélés par l’aplanissement de pots de peinture. Agencés sur les murs de la galerie tel un large nuancier, les 125 récipients au format standardisé (gallon, pinte, chopine) sont, une fois aplatis, le support d’une matière colorée qui agit diversement sur les parois métalliques. La peinture couvre parfois complètement la surface, laisse voir des lignes de décantation, s’écaille en résidus, ou se mêle à la corrosion du support. Chacune des pièces, unique par ses détails, semble raconter la vie de cette matière, rythmée par des événements qui l’ont remuée ou au contraire par des périodes de repos qui l’ont solidifiée.

Au-delà d’un discours sur la matière, l’exposition laisse voir de nombreux indices du processus créatif de Pépite & Josèphe, qui pourrait se structurer en trois temps : l’expédition, le recyclage et le déploiement.

L’expédition est une notion essentielle dans la démarche des artistes. Vécue comme une expérience de vie, elle implique un déplacement lent hors des sentiers battus, une décélération productive nécessaire à l’observation de son environnement. C’est ainsi que le duo collecte gallons et pintes de peinture lors de longues marches quotidiennes, au bord des trottoirs ou dans des écocentres, perturbant la destinée de ces débris pour dévoiler leur beauté singulière. C’est aussi au cours de ces excursions que les artistes récoltent des déchets de toute sorte, qui serviront plus tard à l’identification de chaque pot. Ces associations formelles entre un déchet et de la matière colorée permettent d’établir un inventaire poétique des déplacements des artistes. Elles sont assemblées dans un Recueil de paysages exposé au centre de la galerie.

Rien n’est laissé de côté dans les produits de cette récolte. Chaque élément, qu’il soit contenant ou contenu, se voit donner une nouvelle vie. Les couvercles circulaires sont récupérés pour présenter d’étonnantes trainées, arborescences et gélivures. Lorsque les pots sont vidés, leur contenu liquide est recueilli, séché et est superposé en couches de manière à obtenir des carottes stratifiées de 3, 4 et 6 pouces de diamètre soit le diamètre d’une chopine, d’une pinte et d’un gallon. Cet empilement aléatoire de matière colorée constitue ainsi une archive chronologique de ces recyclages. Cette idée de temporalité cyclique est renforcée par le parcours d’exposition conçu comme une boucle chromatique, où les supports dépliés commencent avec un camaïeu de couleurs foncées, dévient vers des teintes vives, puis s’éclaircissent progressivement jusqu’au blanc, avant de retourner vers des tonalités plus sombres.

Dans la troisième étape du processus de Pépite & Josèphe, le déploiement est une action ayant pour but un changement de perspective. Par le simple déroulement d’un cylindre métallique, il permet de découvrir un secret jusqu’ici caché de nos yeux : une image unique, complexe, qui convoque l’imagination du spectateur. Les artistes poussent encore plus loin ce déploiement en présentant des agrandissements numérisés et imprimés sur papier. Par un nouvel aplanissement de la surface, une certaine distance est créée face à ces objets. Nous apparaissent maintenant de nouveaux détails qui contribuent à renouveler notre regard. Notre oeil perçoit alors des formes imaginaires, des efforts de composition pourtant accidentels, des effets de transparence que l’on ne voyait pas. Cette nouvelle étape plonge le spectateur dans un état contemplatif, si recherché par les peintres pratiquant le genre du paysage.

À travers leur travail imprimé, Pépite & Josèphe adoptent une approche métonymique dans laquelle une inversion s’opère entre contenant et contenu. Chaque pot de peinture constitue une sorte de matrice pouvant être exploitée pour une impression. Les dimensions de cette dernière sont variables, s’adaptant au lieu où elle est destinée à être installée. L’oeuvre imprimée, qui figure un contenant de matière recouvrante, agit elle-même comme une matière recouvrante, pouvant s’étaler à souhait sur la surface plane du mur. Par cette contraction du contenant et du contenu, Pépite & Josèphe renversent ainsi notre point de vue, faisant passer le même objet de rebut matériel à icône intangible.

Texte de Gauthier Melin

Expédition est une démarche artistique menée de front par Vincent Biron-Chalifour et Josèphe Landreville (Pépite & Josèphe). Vincent Biron-Chalifour (né 1994, Montréal) a obtenu son BFA en photographie à l’Université de Concordia. Josèphe Landreville (née 1993, Montréal) complète présentement une maitrise à l’Université du Québec à Montréal en arts visuels et médiatiques. Depuis 2016, le duo d’artistes vit et travaille ensemble entre Montréal et Sutton. Leurs assemblages installatifs ont été présentés au sein d’expositions à Montréal, notamment à la Galerie FOFA, à l’espace Cercle Carré et au centre d’essai Arprim. Plus d'information: expedition-phases.com