Franchir la ligne
PHILIPPE MAINGUY
Du 17 janvier au 16 février 2019
Pour débuter l’année 2019, l’Atelier Circulaire présente, du 17 janvier au 16 février, une exposition de l’artiste émergent Philippe Mainguy. Intitulée Franchir la ligne, l’exposition est l’aboutissement de quatre années de recherche durant lesquelles l’artiste a exploré la taille-douce à travers une série de portraits, une réflexion sur le mouvement et sur l’implication du corps dans son propre travail.
C’est à travers la notion de répétition qu’il convient d’approcher le travail de Philippe Mainguy. Parmi ses nombreux sens, elle est à la fois l’action de reproduire quelque chose plusieurs fois et la réitération d’une même action. Comme le rappelle Jacques Derrida dans Papier Machine : « L’inédit surgit, qu’on le veuille ou non, dans la multiplicité des répétitions[1]». Concept inhérent à la pratique des arts imprimés, la répétition prend à l’ère du tout numérique une nouvelle dimension. Nous vivons aujourd’hui dans une surabondance d’images reproductibles à l’infini, où le pixel a remplacé le trait et où l’instant est devenu la nouvelle unité de temps. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la démarche artistique de Philippe Mainguy, prenant sa source dans des images numériques produites en un clic et immédiatement diffusées, et les transposant dans le processus long et laborieux de la gravure en taille-douce.
Le genre du portrait, considérablement bouleversé avec l’avènement des médias sociaux, constitue un terrain de jeu essentiel dans la pratique de Philippe Mainguy. Pour reproduire des photographies de connaissances publiées sur Facebook ou Instagram, l’artiste utilise le procédé traditionnel de l’eau-forte, créant ainsi un anachronisme volontaire. Si les formats choisis, les poses et les regards des personnes représentées rappellent bien les codes utilisés pour se mettre en scène sur ces plateformes, le tracé méticuleux des hachures, le travail des textures et la suppression des couleurs amènent une matérialité à des images destinées à rester dans le domaine numérique. L’artiste vient synthétiser une forme et la consolider en un motif. Ce faisant, il introduit une différence dans la répétition de l’image. Il place ainsi une distance entre le sujet et son spectateur.
La répétition n’est chez Philippe Mainguy pas seulement une façon d’aborder un sujet, mais un véritable engagement physique de l’artiste dans sa pratique de la gravure. Dans l’animation Portrait d’un cycliste, Philippe Mainguy met en relation les mouvements cycliques et répétitifs du corps de l’artiste activant la presse à celui d’un personnage pédalant sur son vélo. Passionné de cyclisme, il pourrait reprendre pour lui cette phrase du cycliste et écrivain Olivier Haralambon : « Pédaler, c’est faire sens, rien de plus, mais rien de moins. C’est habiter sur un mode privilégié ce lieu en nous où se lèvent les images[2]». L’automatisme des gestes pour mener vers un objectif, les mouvements circulaires imposés au corps par une machine, l’effort physique du dos courbé ou de la tête penchée pendant des heures, la pression du pied poussant la pédale ou de la main appuyant sur la pointe d’acier, la cadence du bruit de la chaine dans l’engrenage ou de la pointe frottant sur la règle sont autant d’éléments récurrents menant l’artiste à une endurance méditative. C’est plongé dans cet état que s’active l’imagination, que les idées naissent, convergent, se mettent en œuvre pour aboutir à un résultat. La répétition est donc ici un moyen d’acter la durée du processus de création. Les plaques de cuivre présentées en vitrine sont à cet égard les témoins du temps et de l’ampleur du travail fourni pour réaliser l’animation.
Philippe Mainguy utilise ainsi la répétition d’une part pour reproduire, déconstruire et restructurer son sujet, et d’autre part pour réitérer une série d’actions qui changent le temps de production d’une image. Par ces deux stratégies, l’artiste cherche à faire de la répétition une différence en soi. Et c’est bien là le rôle de l’imagination selon Gilles Deleuze, de « soutirer à la répétition quelque chose de nouveau, lui soutirer la différence[3]». Tout ce processus permet à l’artiste de Franchir la ligne. C’est à dire, en sport comme en gravure, de dépasser ses limites pour atteindre la satisfaction et le plaisir.
Texte de Gauthier Melin
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[1] Jacques Derrida, « Autrui est secret parce qu’il est autre » - Propos recueillis par Antoine Spire, Le Monde de l’éducation, N° 284, Septembre 2000, p. 14.
[2] Olivier Haralambon, Le coureur et son ombre, 2017
[3] Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, 1968, p.193