Feedback Loop (Boucle de rétroaction)
NEAH KELLY + MARK LAURIN
Exposition
17 octobre - 16 novembre 2019
Vernissage
jeudi 17 octobre, à partir de 17h30
Présentée en une installation foisonnante, Feedback Loop (Boucle de rétroaction) rassemble deux corpus d’œuvres de Neah Kelly et Mark Laurin. Les deux artistes, basés à Hamilton (Ontario), travaillent un large champ de techniques en arts imprimés et partagent un même processus créatif basé sur l’acte d’abstraction. Leur but n’est pas d’atteindre un niveau de pureté formelle, mais plutôt d’établir les règles d’un jeu d’énigme dans lequel le spectateur a un véritable rôle d’enquêteur.
Entrer dans l’exposition Feedback Loop est comme s’engouffrer dans un chaos coloré. Notre œil essaie de trouver des repères, d’assembler les morceaux, de recréer les étapes. Cependant, pour lire cette œuvre, toute théorie esthétique se révèle inutile. Les imprimeurs chevronnés auront aussi du mal à définir cette installation. Pas de technique d’impression dominante, on trouve ici lithographie, sérigraphie, impression numérique et taille douce. Parfois, la connaissance est inutile pour appréhender une œuvre. Seules notre sensibilité et notre imagination peuvent nous aider à saisir cette installation.
Quels indices nous laissent les artistes ? À travers un processus d’extraction formel, ils simplifient, schématisent, réduisent pour recomposer selon leur bon vouloir. Cependant, l’un comme l’autre nous donne une clé, un point d’origine qui nous permet de trouver un agencement des différents morceaux : une unité de représentation. C’est elle qui nous permet de faire un travail cérébral de reconstruction d’une image.
Chez Neah Kelly, cette unité est un ensemble de trois figures aux formes irrégulières. Qu’elle soit sur le papier ou qu’elle compose un objet en volume, elles génèrent couleur, espace et matérialité. Ces figures créées par l’artiste agissent comme les trois glyphes d’un vocabulaire formel qui se décline via de multiples techniques (taille douce, lithographie, sérigraphie) sur une variété de supports (papiers, livres, plexiglas). Dans une démarche autoréférentielle, ces formes n’ont pas de sens particulier, mais réagissent les unes aux autres, évoluent dans des contextes différents et se déploient dans plusieurs espaces dimensionnels.
Chez Mark Laurin, le plus simple dénominateur commun est une ligne. Si celle-ci a des propriétés semblables aux formes de Neah Kelly, cette unité de représentation n’est cependant pas créée de toute pièce par l’artiste. Elle est reprise d’anciennes estampes réalisées en taille douce, notamment de planisphères ou de paysages. Ces célèbres lignes parallèles, aérées, représentant la mer ou le ciel sont ici subdivisées, redisposées et imprimées en sérigraphie, créant une confusion entre les deux techniques. En analysant ces compositions abstraites, notre cerveau rassemble les lignes et recompose des paysages plus ou moins éloignés de ce qu’ils ont déjà été.
Ces constructions indicielles activent nos mécanismes d’interprétation et notre capacité à faire sens. Mais peu importe ce que nous voyons dans ces combinaisons de formes ou de lignes, les artistes ne cherchent pas à absolument montrer une image ou un résultat, mais plutôt un processus créatif. Celui-ci consiste en la déconstruction successive d’éléments formels et en leur recontextualisation dans un nouvel environnement. Cet acte d’abstraction est en grande partie intuitif, mais celui-ci est contraint par certains principes imposés par les artistes ou par les paramètres de la technique d’impression dans laquelle se déroule cette opération : par exemple le transfert des lignes gravées de la taille douce en aplats de sérigraphie chez Mark Laurin, ou l’adaptation du dessin lithographique à la découpe CNC du plexiglas chez Neah Kelly.
En passant d’une technique à l’autre, parfois d’une dimension à l’autre, nous assistons au glissement de ces unités de représentation vers un nouveau cadre dans lequel les règles sont différentes. Au cours de ce déplacement, les caractéristiques du trait ou de la forme sont conservés, obéissant en quelque sorte aux lois géométriques de la translation. En d’autres termes, les artistes opèrent ce qu’on appelle communément en informatique un « glisser-déposer ». C’est en répétant ce procédé de nombreuses fois que se créent des allers-retours entre les pièces présentées dans cette installation. Prise dans son ensemble, cette œuvre collaborative forme ainsi une boucle de rétroaction, c’est-à-dire une série de causes et d’effets dont on ne connait ni l’origine ni résultat, mais qui crée un espace liminal dynamique, une pagaille organisée propice à stimuler notre imagination et faire appel à notre expérience.
Gauthier Melin