Notes

ÉTIENNE TREMBLAY-TARDIF

Exposition
13 mai - 19 juin 2021

Présence de l'artiste
Jeudi 13 mai, de 15h à 19h
Samedi 29 mai, de 15h à 17h
Samedi 19 juin, de 15h à 17h

[…] Je suis entré sur les terrains de l’Independence National Historical Park au hasard de mes déambulations au cœur du centre-ville de Philadelphie. Seulement, je n’y suis pas entré par la grande porte, mais par une entrée dérobée, en poussant une grille qui n’était pas refermée, sans trop savoir ce qu’il y avait au-delà. Je fus alors, pendant quelques instants, le spectateur idéal de ce qui se déroulait sous mes yeux, n’étant pas au parfum du jeu de rôle qui s’y tramait. Si je n’ai pas reconnu tous les personnages incarnés par les acteurs postés au carrefour de deux petits chemins, attendant la prochaine volée de touristes, il m’apparaissait assez clairement que l’homme bedonnant, canne et tricorne en main, devait être Benjamin Franklin. Je l’ai suivi du regard alors qu’il rejoignait un autre groupe d’acteurs. Je l’ai photographié comme l’aurait fait un paparazzi, ou un espion, avec le plus long objectif que j’avais sur moi. Ma confusion s’est accrue à un certain moment, à l’idée que je ne savais plus si j’observais l’acteur jouant Benjamin Franklin qui cassait la croûte pour le regard des touristes en pèlerinage, ou si j’observais simplement l’acteur, on lunch break avec ses collègues, en retrait de Carpenters’ Hall. J’ai tiré un diptyque photographique de cette rencontre. La seconde image diffère de la première par la modification du coloris d’ensemble.Cette retouche du fichier numérique est produite par un simple glissement de curseur dans le logiciel Photoshop (Image – Adjustements – Hue).

Crédit photo : Jean-Michael Seminaro (2021)

J’ai mentionné être entré sur le site de l’Independence National Historical Park en poussant une grille mal refermée. Je cherchais alors à m’aventurer à l’arrière de l’édifice de la First Bank of the United States. J’en avais photographié la façade pendant plus d’une heure, m’intéressant à différents détails de sa devanture. L’histoire de la première banque centrale américaine est résumée sur deux plaques commémoratives ; deux rectangles sombres, situées de part et d’autre de l’entrée de la First Bank. Ces plaques sont des doublons l’une de l’autre, des copies. D’ailleurs ce ne sont pas tant des plaques que des autocollants de vinyle transparent, produits à l’aide d’une imprimante de bureau et montés entre les panneaux de verres des fenêtres. Bien que je puisse, moi, entrevoir l’intérieur vacant du rez-de-chaussée par les carreaux arborant les textes d’interprétations, ma documentation photographique de la plaque commémorative se butait, elle, inévitablement à la densité des surfaces réfléchissantes de verre, à la matité de l’autocollant et à l’accumulation de poussières et d’égratignures dans les carreaux. Dans l’œil de ma caméra, l’autocollant imprimé, sans doute chez Staples, se transformait en une stèle de pierre gravée. En décalant le cadre de l’image de manière à y inclure une portion du meneau, le panneau de verre devenait la lourde reliure de cuir vermoulu d’un grand livre des écritures.

Crédit photo : Jean-Michael Seminaro (2021)

Je n’ai pu entrer dans la banque, pas plus que je n’ai pu en capturer le sombre intérieur. La même chose pourrait être dite du copieur Canon Imagerunner Advance qui, la veille, lacérait de bandes blanches les reproductions des billets de banque que j’essayais d’agrandir ; surimposant un système graphique iconoclaste au mimétisme supposément transparent des portraits, sceaux, blasons, numéros de séries et guillochis. Il est explicitement écrit sur le copieur de ne pas reproduire des items tels que des passeports, des chèques ou des billets de banques. J’ai ensuite numérisé les copies agrandies des billets et envoyé les fichiers à ma boîte Gmail. Ce n’est pas sans un brin d’effroi que j’ai posé les yeux sur le rapport d’opération qui sortit des mâchoires du photocopieur : il reproduisait l’image en question et détaillait mon nom, mon adresse courriel, l’heure et la date de la numérisation. Je me doutais bien que personne ne surveillait en temps réel le flux d’images qui reliaient cette journée le copieur Canon et mon adresse Gmail. Toutefois, les TX Report étaient là, les fichiers encodés, encryptés de métadonnées stockées quelque part – fichées, répertoriées d’une façon ou d’une autre. Entre les mains de quel agent, l’information était-elle tombée : Canon, Google, l’État fédéral ? […] - Étienne Tremblay-Tardif

Crédit photo : Jean-Michael Seminaro (2021)

Biographie

Par l’emploi des techniques de reproduction du texte et de l’image, Étienne Tremblay-Tardif développe une pratique matérialiste et axée sur la recherche, où s’articulent les opacités et les transparences du savoir et de la vision. Dans son travail, il s’attarde à mettre en relief les textures et contextures des visualités produites par des dispositifs de différentes natures, où se croisent et s’interfacent corps et discours, appareils techniques anciens et récents, institutions et infrastructures.

Étienne Tremblay-Tardif est artiste et chargé d’enseignement à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM. Il a terminé des études en histoire de l’art et études cinématographiques à l’Université de Montréal (BA 2006) avant d’entreprendre une formation en arts visuels à l’Université Concordia (BFA 2009, MFA 2013). Il a été récipiendaire du Prix Albert-Dumouchel (2007) et de plusieurs bourses de création et de recherche artistique (Université Concordia 2009/2010, CRSH2010, CALQ 2014/2106/2018/2020, CAC 2017/2021). Au fil des dernières années, il a notamment participé aux expositions Soulèvements (Galerie de l’UQAM, 2018), Open Edition (Carleton University Art Gallery, 2017), Monuments aux victimes de la liberté (AXENÉO7, 2015), L’avenir / looking forward (Biennale de Montréal / MACM, 2014), Collision 9 (Parisian Laundry, 2013) et Ignition 7 (Galerie Leonard & Bina Ellen, 2011). Son travail en atelier se prolonge souvent dans des essais critiques qui s’accompagnent de montages élaborées : Unsplash (Galerie UQO 2020, AAUC 2019), Notes (Université Concordia 2018), Signage Matrix (School of the Art Institute of Chicago 2015, School of Visual Arts 2014).

 

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